La Casa del Alabado est à l’origine une casa coloniale, construite en 1671 dans le centre de Quito. Le quartier qui s’étend de la place San-Francisco au couvent Santa Clara est un des lieux les plus typiques du centre historique de la capitale équatorienne, classé en 1978 sur la Liste du patrimoine mondial. Mais avant la fondation de la ville coloniale en 1534, cet espace était un grand centre de pouvoir indien.
C’est en 2006 que la Fondation La Tolita entreprend de faire la réhabilitation et l’extension du bâtiment et de lui donner une nouvelle destination, celle d’un musée d’art précolombien. La restauration de la casa est réalisée dans le respect des traditions de ce type de construction avec des murs en briques d’adobe recouverts de chaux, des charpentes en bois et des ouvertures sur de nombreux patios. L’aménagement intérieur et la muséographie sont en revanche conçus dans un esprit contemporain qui donnent toute leur place aux œuvres et à la médiation des présentations. Les vitrines s’effacent et les murs intérieurs en adobe sont visibles en arrière plan des objets. La couleur comme symbole magique du sang ou de l’abondance est une valeur fondamentale pour les communautés des Indiens précolombiens. Elle devient ici prépondérante dans la mise en perspective des collections dans les espaces : tantôt rouge, tantôt jaune ou encore végétale, la paroi est un arrière plan qui situe les objets dans un espace symbolique.
Ici, l’éclairage est essentiel à la construction de chaque thématique, du chaos initial au supramonde. Du sombre vers le lumineux, la lumière nous fait vivre la course du soleil qui nuit après nuit descend dans le monde des ancêtres de l’inframonde pour réapparaître le jour suivant, fortifié au milieu du ciel.
Les œuvres témoignent d’une certaine vision du monde de ceux qui les ont réalisées. C’est en remontant le fil de ces conceptions que le visiteur peut entrevoir cet univers disparu. Celui des Indiens précolombiens était probablement fondé sur la puissance des esprits et des ancêtres, socle de pratiques spirituelles dont celles de créer des objets d’art.
L’univers précolombien était un cosmos peuplé de créatures et habité de puissances qui devaient être mises en harmonie pour que toutes ses espèces y prospèrent.
L’enjeu de la muséographie est de conduire le visiteur à travers les mondes des Indiens précolombiens. Le fil conducteur du scénario de la visite est la cosmogonie précolombienne : du néant primordial aux mondes élaborés.
Plusieurs strates de lectures des œuvres sont proposées. La première strate est une interprétation archéologique issue des études scientifiques ; cette lecture résume le contexte des mondes que le visiteur traverse. La seconde strate est une lecture sensible par juxtaposition de textes poétiques ou philosophiques associés à des bandes son originales, des bruitages ou de la musique.
Le monde primordial
Lorsque le visiteur est au seuil de l’exposition, il vit toujours son monde ordinaire. Pour pénétrer dans le monde extraordinaire de la cosmogonie des Indiens précolombiens, il doit passer symboliquement d’un monde profane à un monde sacré. Au début de parcours, il est invité à franchir la frontière du monde visible vers cet univers spirituel. Le voici devant un monolithe de pierre qui cache l’entrée du parcours initiatique ; derrière le monolithe se trouve l’entrée d’un monde d’une autre dimension. C’est le monde primordial.
Tout y est immobile, atone. Une lumière froide et ténue provient du sol. C’est un éclairage inversé, inquiétant : le soleil n’existe pas encore ou alors il est mort durant la nuit et transite dans le monde des ancêtres. Il y a des sons de vent et d’orages. C’est ici que le monde a commencé avant l’homme, avant la vie et avant les cycles des jours et des saisons. Le monde primordial est un monde sans ordre, immobile et éternel. C’est ici que l’être humain retourne lorsqu’il meurt et se transforme en ancêtre. Il devient immortel comme l’est la pierre.
Dans le vide infini du monde des ancêtres, se trouve l’origine de la vie. De ce néant, les hommes créent et organisent sans relâche le monde. Ils s’activent pour faire circuler l’énergie de la vie. Pour cela il leur faut solliciter sans cesse les esprits et les ancêtres pour qu’ils leur soient propices, pour que le soleil renaisse chaque jour et que la pluie vienne à chaque saison.
Le monde de l’essor de la vie
Le visiteur émerge de ce monde souterrain vers le monde de la vie par une transition verticale, du sous-sol vers le niveau supérieur, du sombre vers le lumineux. C’est par la transformation des matériaux bruts, immortels comme la pierre, le bois, la terre, l’os ou le coquillage, en objets élaborés, chargés de puissance que l’artisan précolombien accomplit un travail spirituel.
Les Indiens de l’Amérique précolombienne avaient créé un système de mondes parallèles, de réalités ordinaires et non-ordinaires. Composé de l’inframonde, du monde terrestre et du supra-monde, cet univers forme une unité harmonieuse.
La lumière est douce et solaire. Les couleurs se réchauffent. Nous découvrons le rouge, symbole de la fertilité et de l’énergie de la vie. Les êtres humains doivent établir des relations entre ces mondes afin que les énergies y circulent. Pour cela ils fabriquent des objets emplis de puissance spirituelle avec lesquels ils accomplissent des rituels, entretiennent les ancêtres et les esprits. Leur but est toujours de contrôler les forces naturelles et qu’elles soient favorables à la prospérité des espèces vivantes.
Ce sont des canaux qui pénètrent les mondes parallèles de part en part. Ces axes sont déterminés par des lieux naturels comme des cavernes, des grottes, des montagnes ou des lieux construits comme des tertres ou des pyramides. C’est par ces axes verticaux que circulent les offrandes et la nourriture amenée aux ancêtres.
Cet axe vertical est évoqué par la mise en lumière et la mise en scène d’un miroir d’obsidienne dans une vitrine translucide rétroéclairée. Visible depuis cet espace, un paysage dans le patio matérialise la transversalité entre les mondes. C’est un arbre vertical tel un totem, le pumamaqui, qui traverse un cercle minéral au milieu d’un carré végétalisé.
Chamane et élite
Seules certaines personnes sont habilitées à traverser les différents mondes, à communiquer avec les esprits ou à les combattre. Qu’ils soient artistes, poètes, guérisseurs ou chamanes, ces personnes ont suivi des formations et possèdent des qualités qui leur permettent d’entrer et d’agir dans le monde des puissances. Plus tard, ces personnes détentrices de forces se sont associées au pouvoir qu’elles représentaient pour en être les seules détentrices. Ces personnes se sont définies comme des élites et ont formé une classe dominante. La muséographie du monde des puissances met en scène les couleurs liées au pouvoir et la prospérité, le rouge et le jaune. La lumière solaire évoque la richesse et l’abondance des démonstrations festives.
C’est dans le supramonde que s’achève l’histoire de la traversée des mondes à laquelle le visiteur a été convié. Ici l’art est montré comme une forme pure de l’activité spirituelle. Fabriquer des objets d’art, c’est en soi accomplir un acte spirituel car l’art revêt la forme suprême d’organisation du monde, celui qui émergea du chaos initial, de l’inframonde.
Les œuvres d’art exposées dans cette salle ont été des objets de sacrifices, revenus du monde des ancêtres, chargés de pouvoir spirituel pour renaître à nous. La présence d’un jardin sur une paroi verticale toute hauteur offre une perspective inattendue aux œuvres, rappelant l’altitude des Andes et l’environnement naturel des premiers agriculteurs précolombiens. Ce jardin vertical à ciel ouvert dessine également un arrière-plan animé, vibrant au souffle du vent, qui confère aux oeuvres une sorte de présence atemporelle ; un contexte éminemment vivant qui renforce la sérénité, la puissance et l’énergie des oeuvres d’art exposées.
Maître d’ouvrage : Fundación Tolita, Daniel Klein, Mario Ribadeneira, Carmen Viteri, Quito, Equateur • Direction de projet : Ing. Gyorgy Gutierrez • Mandataire muséographie : Metapraxis Daniel Schmitt • Muséographe : Muriel Meyer Chemenska • Architecte d’intérieur : studio Ethel Buisson • Architecte bâtiment : López y López Arquitectos • Concepteur lumière : Marc Dumas • Soclage : Francis Galarza • Etudes techniques : Ing. Luís Roggiero • Jardin vertical : Monica Navarro de Bodenhorst • Réalisation des médias : Dream Quest, Edward Cooper • Comité scientifique : Karen E. Stothert, Iván Cruz Cevallos, Clemencia Plazas, Jimena Lobo Guerrero • 540 oeuvres exposées • Surface : 1 500 m² • Plus d’infos : www.alabado.org